Ce soir-là, la Grande Sénéchale rentra dans ses appartements en soupirant. La journée avait été chargée. Entre les apparitions officielles, les Conseils, les dossiers et les comptes rendus fait au Grand Patron, elle n’avait pas eu une minute pour elle.
Après avoir jeté un regard aux alentours, elle s’approcha d’une console et enleva la tiare qui lui barrait le front, puis retira une à une les épingles qui maintenaient ses cheveux en un chignon compliqué. Puis elle enleva ses boucles d’oreilles, son collier et ses multiples bracelets qu’elle déposa sur un coussin de soie.
Elle se tourna vers les fenêtres de son salon privé et d’un geste de la main, les rideaux se fermèrent lentement, les embrases relâchant les lourds rideaux de velours couleur ciel. Marchant vers le centre de la pièce, elle déboutonna les six boutons de sa sur-robe qu’elle enleva tel un gilet et la déposa sur le dossier d’un des fauteuils. Elle leva les yeux et croisa le regard de son reflet dans un miroir monumental qui se trouvait entre deux hautes fenêtres.
Quelque chose manquait dans ce tableau.
Elle se retourna et se dirigea vers une porte qui donnait sur un petit vestibule. Une lampe à pétrole s’alluma dans la petite pièce faisant apparaître trois double portes orné de moulures dont certaines étaient recouvertes de feuilles d’or, et une petite porte beaucoup plus simple réservée aux domestiques.
Elle ouvrit la première double porte se situant sur sa gauche et découvrit une chambre vide. Étrange.
Elle se tourna vers la double porte du milieu. Sa chambre personnelle. Vide elle aussi. Pourtant « Elle » était là quand elle l’avait quitté ce matin.
Retournant dans la première chambre, qui s’illumina instantanément, elle ouvrit la garde robe et en examina le contenu. Une robe manquait à l’appel. La brune. Simple, trop longue pour sa propriétaire. Elle referma la penderie. Se tourna vers la console. Sur le peigne en nacre, il y avait un cheveu roux. La Grande Sénéchale ouvrit un coffret en ébène dans lequel l’occupante de la chambre rangeait quelques uns de ses bijoux. Il ne manquait rien. « Elle » n’était donc pas sortit du Palais Obscur. Puis une tâche attira son attention. Près de la chemise de nuit posée en boule sur le coin gauche de la coiffeuse, se trouvait une longue épingle en or. A son extrémité elle vit une tâche brune. Zouzou, comme l’appelait affectueusement son frère, pris l’objet entre ses doigts, et en porta la pointe à ses lèvres.
Un goût de terre.
Les pupilles de la démone se dilatèrent.
Se pourrait-il que … ?
Reposant violemment l’épingle sur le meuble. Elle sortit précipitamment de la chambre, passa dans le vestibule, traversa le salon, ouvrit violemment la porte de son appartement et sortit. Un garde en livrée pourpre et noire referma discrètement la porte tout en faisant signe aux autres de ne pas bouger alors que la Grande Sénéchale traversait le couloir. Elle descendit l’escalier magistral, en fit le tour et ouvrit la porte qui se trouvait en dessous de celui-ci.
Elle descendit l’escalier de pierre brute, passa dans la salle d’armes et ouvrit directement la porte se trouvant à l’extrême gauche de l’enfilade qui se trouvait sur le mur du fond.
Parcourut un troisième couloir au bout duquel se trouvait l’impasse à la fontaine.
Là elle s’arrêta.
Elle n’était pas essoufflée. Son corps n’avait que des avantages, aucun inconvénient.
C’est pourquoi elle fut étonnée d’entendre une respiration saccadée raisonner dans la pièce. Elle écouta attentivement le son, il provenait de sa droite. Elle se tourna dans cette direction pour découvrir que ce coin de la pièce était plongé dans la pénombre. Au moment où la Grande Sénéchale allait faire un pas en avant, elle entendit un grognement de bête enragée et vit deux yeux rouge la fixé.
Zouzou eu un sourire narquois, « Elle » était donc bien venue ici.
Elle croisa les bras et se mit à scruter l’ensemble de la pièce : l’eau de la fontaine coulait, limpide, les feuilles de lierre d’un vert éclatant qui recouvrait le mur du fond se balançaient au rythme d’un vent imaginaire et la lance à la pointe dorée gisait entre les deux, dans une large flaque de sang.
« Tu devrais t’être habitué à la voir depuis le temps, déclara la Grande Sénéchale d’une voix lasse.
Le petit garçon blond sorti de la pénombre et s’avança vers elle. Il regarda avec répugnance la lance et émit un sifflement.
- Je n’aime vraiment pas mon boulot, dit brutalement le « garçonnet ».
- N’oublie pas que si tu te retrouves ici, c’est à cause de … ton erreur. Ne te plains pas, ça aurait pu être pire, répondit-elle en lui jetant un regard menaçant.
L’ « enfant » blond se mit à frissonner violemment. Il recula d’un pas pour laisser plus d’aisance à son Maître.
La Grande Sénéchale se dirigea vers la fontaine et observa l’eau qui coulait du cœur de la statuette jusqu’à la vasque. Elle y plongea sa main gauche et fit le tour de la vasque d’un air songeur. Au bout d’un moment, elle retira sa main de l’eau et la secoua comme pour se débarrasser de quelque chose de répugnant.
D’une voix neutre elle s’adressa à l’ «enfant » qui s’était accroupi à côté de l’arme.
« Depuis combien de temps est-elle ici ?
- Mmmmh … depuis ce matin … tôt. Elle m’a surpris, d’habitude elle vient plus tard.
Zouzou, regarda le sang par terre et fit une grimace. L’odeur du sang la gênait un peu et elle le trouvait déplacé dans cette pièce.
- Et depuis ce matin, tu n’as pas eu le temps de nettoyer tout ça ? demanda t’elle sur un ton de reproche.
Le petit blond pâlit. Pourtant il savait que si, à la tombée de la nuit, la rouquine n’était pas réapparut, le Maître des lieux serait venu la chercher. Avec des gestes tremblants, il retira la tunique blanche qui recouvrait le haut de son corps et commença à éponger le sang.
- Je m’y mets tout de suite.
Elle le regarda d’un air intrigué, elle aurait du y être habituée, cela faisait des siècles qu’il travaillait pour elle. Mais il n’y avait rien à faire, le haut du corps de ce garçon était finement musclé. Ce qui créait un sérieux décalage avec son apparence générale. Le fait qu’il était un Katzi adulte lui échappait à chacune de leurs rencontre. Elle continua de l’observer éponger le sang qui imprégna la tunique blanche et la teinta entièrement. Lorsqu’il eu fini, il se redressa et plongea sa tunique dans l’eau de la fontaine. Le liquide sembla absorber le sang et la tunique redevint blanche. Alors l’eau cessa de couler dans la fontaine et les feuilles de lierres s’immobilisèrent. Le blondinet remit sa tunique, qui sortie sèche de l’eau et recula de quelques pas.
Zouzou contourna la fontaine et se dirigea vers le mur végétal. Elle s’arrêta devant celui-ci et y enfonça son bras droit. Elle fouilla l’intérieur du mur pendant quelques secondes et enfin, ses doigts se refermèrent sur un bras. Avec un sourire satisfait, elle plongea son bras gauche dans le mur et agrippa le corps qui s’y trouvait. Une fois qu’elle le tenait correctement entre ses bras, la Grande Sénéchale se mit à reculer. Dans ses bras, se trouvait une Gorgophonée paisiblement endormie, qu’elle regardait d’un air attendri. Après tout, n’était-elle pas sa création … ?
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